Appropriation, la phase d’enchantement illustrée par “Les consultants ne font pas leur boulot s’ils ne disent pas de sottises 2.0”

Pepin La Bulle

On va s’éclater

Z’avez vu, j’ai écrit “sottises”, mais franchement c’est un autre mot qui me venait à l’esprit en lisant l’article d’un consultant maladroit (ok je sors pour le jeu de mot…).
Ce brave garçon ne titre rien de mieux dans son billet du jour : “Les journalistes ne font pas leur boutot s’ils ne sont pas sur les réseaux sociaux”.

Et très fier il trouve ça formule provocatrice…. diable. Voici un parfait exemple de l’étape d’enchantement du processus d’appropriation des médias et de la bêtise illustrative que l’on peut rencontrer à ce stade.Nous allons éviter de nous attarder sur l’article en tant que tel, pour repérer avant tout quelques symptômes exprimant l’enchantement de l’appropriation.

Bref résumé des étapes de l’appropriation des machines à communiquer:

Au niveau individuel comme au niveau social, l’adoption d’une technologie de communication passe par quatre étapes :

  1. La découverte : tâtonnement contraint ou curieux, on se demande bien ce que ça va nous apporter : les uns explorent avec désirs, les autres grinchent que c’est encore une saloperie de plus pour nous compliquer la vie.
  2. La cristallisation, l’enchantement : On commence à maîtriser la techno, et là on croît avoir découvert un nouveau pouvoir magique qui va être omniprésent et que l’on va vouloir utiliser pour tout et partout.
  3. Le désamour, la décristallisation : Parce que l’objet d’amour était trop fusionnel, devenu obsessionnel et cannibalisant les autres formes de contact pourtant nécessaires, on passe par une rupture plus ou moins violente mais forte se traduisant par des dénis et des accusations de claustration que cette techno a produit dans notre vie.
  4. L’usage raisonné : une fois la distance prise, on va pouvoir reconstruire une relation raisonnable avec l’objet et s’en servir quand on en a besoin, pour ce qu’il nous apporte de spécifique, que n’apporte pas les autres objets.

Cette approche se retrouve dans les travaux d’un psy spécialiste des addictions (John Grohol, 1999 : Internet Addiction Guide)

Revenons à notre consultant. Il est très clairement dans l’euphorie de son entrée dans les réseaux sociaux. Quelques symptômes :

l’osmose universelle : Le média (le dispositif) est au centre du monde, le monde est dedans, le monde ne fait qu’un avec le média :

Un terrain dématérialisé, mais un véritable terrain où il se passe des choses, où l’actualité naît, où une vie économique, sociale, culturelle et politique se développe. Un terrain où l’on peut même suivre en temps réel une prise d’otage sur Facebook…

Effet fusionnel et omniscient renforcé plus loin par l’effacement des temporalités sociales et individuelles:

quelques jours après le tsunami au Japon, on peut apprendre que certains Français ont du mal à revenir au pays à cause des prix prohibitifs des billets sur Air France (message passé sur Twitter) et où, malgré le fait que l’on soit un dimanche, on peut joindre la compagnie aérienne pour en savoir plus via sa page Facebook

La disqualification des pratiques antérieures,  je nommerai l’archaïsisation (si vous avez mieux que ce barbarisme, je prends). Dans l’article, ceci se traduit notamment par l’utilisation de terme “solidifiant dans le passé” ceux qui ne sont pas encore venu au merveilleux:

…les plus réfractaires décident de tenter un contournement napoléonien…

ou encore:

Depuis de nombreuses années (lire cet article d’Ecrans datant de 2007), des questions se posent sur le “taux de fiabilité” de Wikipédia.

Ici Wikipédia devient un mammouth vis à vis des twitteries et facebookeries.

Mais l’empathique euphorique n’est pas fou, comme tout toxico, il a des rhétoriques de la raison gardée, il va devancer la critique en s’auto-modérant publiquement, en faisant amende honorable de la dénonciation des effets pervers sourds. Ce ne sont pas les autres qui participent à la conscience de sa passion excessive, il se met tout seul en scène de modération.

…ne sont ni plus ni moins qu’un nouveau terrain journalistique, fascinant et plein de dangers, comme tous les terrains où nous devons faire notre boulot.

Le tout avec quand même un brin de décentrage passant par la citation (car notre consultant ne cède pas à l’égo surdimensionné des explorateurs conquérants) et a déjà un peu de recul produit par son expérience et le temps de l’écriture.

A ce stade de mon billet, on pourrait se demander pourquoi le titre était un brin teigneux ou ironique à l’endroit des consultants… disons que dans le ton de l’article, on retrouve quand même quelques donnages de leçon bien propres:

1 – Arrivée chez les ploucs:

Lorsque je dis cela dans les formations ou les interventions que je fais un peu partout dans les rédactions, j’ai (presque) toujours les mêmes réactions.

2 – Voici la lumière

D’abord parce que je me fais un plaisir d’expliquer que…

3 – Maintenant à vous de vous élever vers elle, j’aurais fait mon possible…

Allez, chers confrères et néanmoins amis, sautez le pas. Ca ne fait pas mal, et ça peut même être très utile !

Ceci étant qu’on se le dise, je n’en veux pas particulièrement à l’auteur de l’article que je viens de triturer un peu rapidement et sauvagement.

D’une part, il y a des choses intéressantes notamment sur la réflexion de l’évolution du métier de journaliste vis à vis du surgissement des sources. Ceci illustré par le décorticage du baiser de Vancouver. Il y aurait des choses à commenter sur ce passage auquel je n’adhère pas : Sémiologie de l’image initiale discutable selon les points de vue… perso j’y ai plus vu un couple agonisant, une nouvelle icône à la gavroche sous les balles qu’une suspension amoureuse dans un monde de violence. Et la confrontation ambiguë de la photo du pro “L’une de ces photos dont seuls les professionnels ont le secret, un cliché superbe, parfaitement cadré…”  constrastant avec la vidéo amateur qui produit la “vérité” sur le cliché. Il y a là un sujet à discussion fort intéressant qui ici me semble remettre (peut-être à juste titre) la fiabilité du professionnel de l’information pourtant sur le terrain.

D’autre part, il serait malvenu d’accabler cet auteur, cette progression dans l’appropriation n’épargne personne à chaque découverte d’un nouvel objet ou système à communiquer que l’on finit par adopter. Et je me garderais bien de faire le malin car chaque nouveau dispositif qui m’interpelle, m’embarque systématiquement si je pars pour l’adopter. Ce processus d’adoption en quatre phases est incontournable, car sans la phase 2 (de l’enchantement), on ne trouverait pas la motivation raisonnable de pousser l’objet dans tous ses retranchements nous permettant de savoir quoi en faire, de s’investir sans compter pour arriver à le maîtriser (même si pour celà il faut un temps briser le charme).

Mais alors à quoi ça peut bien servir d’identifier que nous sommes en phase 2?

À éviter d’acheter My_ au moment où le web 2.0 devient la tendance, à ne pas se prendre le chou avec un clampin qui vient d’acheter un smartphone ou une tablette et qui ne vit plus qu’avec ça, à identifier des discours individuels et sociaux qui dans cette euphorie déplacent parfois des moyens indécents vers des lubies nécessaires mais qui sont de l’ordre du fantasme et qu’il faut profiter de nos désynchronisation pour ne pas mettre tous nos yeux dans le même panier. Ainsi ce construisent probablement les phénomènes de bulles qui font que parfois on a des pépins lorsqu’elles éclatent.

(hep, avant de fermer, je crois que l’article aurait dû être titré : Les journalistes ne font plus leur boulot s’ils sont sur les réseaux sociaux)

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