Repéré via Scoop.it – Cultures numériques
Poursuite d’une série d’articles sur le prêt numérique en provenance de l’Enssib. Dans l’épisode 1 du modèle américain, on constate que l’offre et le volume d’emprunts augmentent surtout dans les zones urbaines mais à moyen terme, on constate un ralentissement du nombre d’emprunts par personne. Plusieurs hypothèses sont avancées, mais il en manque au moins une : la désaffection des tablettes…
Bien sûr cette hypothèse et mienne et essentiellement spéculative et s’appuyant sur la théorie d’une appropriation des objets communicationnels en quatre temps mais aussi sur l’idée que la tablette est un objet bâtard entre l’ordinateur et les smartphones qui finit par être délaissé.
L’article de Catherine Muller propose plusieurs hypothèses :
- Le manque de communication des bibliothèques sur leur offre : à mon sens, hypothèse trop facile pour s’auto-flageller et préserver sa croyance dans l’opportunité du projet.
- Les offres commerciales agressives d’Apple et Amazon : Ça tient, mais il faudrait surtout parler des verrouillages natifs et des embûches semées pour l’utilisateur qui essaye de sortir des modèles économiques contraints par la dyade “tablette/store” des constructeurs vendeurs de contenus. Donc plutôt que l’adjectif “agressives”, je pense qu’il faudrait utiliser à la place “addictives”. Voir aussi l’exemple des contraintes imposés par des acteurs monopolistiques de l’édition en Suède.
- Le matérialisme de la bibliothèque , c’est à dire l’identification du lieu bibliothèque comme lieu d’accès à des documents matérialisés. Cette hypothèse est belle, censée et mériterait d’être creusée. Pas idiot l’idée selon laquelle ce qu’on vient chercher à la bibliothèque, c’est du “lourd”, de “l’objet”. Sinon en effet à quoi bon se déplacer, une interface d’emprunt en ligne depuis sa maison serait censée suffire et donc plus besoin d’aller à la bibliothèque qui se distinguerait alors de moins en moins des autres offres de consultation numérique légales ou pas.
Outre l’hypothèse sur le délaissement des tablettes du côté des usages, il me semble qu’il faudrait aussi penser à l’aberration chromoso-numérique du concept de prêt dans l’univers digital. En gros proposer du prêt dans l’univers numérique est un modèle “contre nature”. Entendez par là qu’il s’agit ici de créer artificiellement des contraintes d’usages pour préserver un modèle économico-juridique. Car soyons clair, ce qui est simple avec le numérique, c’est de faire une copie du fichier et basta. Le rendre prétable implique qu’on rajoute des verrous numériques (complexification de l’usage et de la technique) qui sont généralement contournables par ailleurs. Ou alors il faut faire confiance au code de l’honneur du lecteur qui détruit le document après la fin de la période de prêt! J’aime qu’on s’adresse à la responsabilité, l’honneur et l’engagement social de tout un chacun… mais j’ai peur que cette vision humaniste et bienveillante soit disqualifiée par des personnes qui se supposent pragmatiques…
Je sens bien que quelques lecteurs sont entrain d’adhérer à cette idée que le prêt numérique est une hérésie mais d’autres pensent en même temps aux créateurs, éditeurs et autres acteurs d’un monde économique sans pitié qui justifieraient qu’on mercantilise la diffusion de document (les fameux pragmatiques?).
C’est là qu’il me semble important de revenir à des modèles numériquement mieux adaptés (selon moi), bien qu’anti-capitaliste (zut… je m’en veux):
- La mission des bibliothèques de lecture publique est de rendre accessible à tous un patrimoine documentaire, donc en ce qui concerne la pratique dans les bibliothèques, la mission à l’égard des supports numériques est simple et souvent bien remplit de nos jours : le patrimoine de la bibliothèque est consultable sur place sur des terminaux adaptés. Il faut renforcer et améliorer la visibilité des espaces publics numériques des bibliothèques (un lien vers les epn des bibliothèques municipales lyonnaises qui font ça – car c’est près de chez moi et on coopère à l’occasion).
- Les documents sous licence libre sont adaptés à la diffusion depuis les bibliothèques qui peuvent ainsi donner le document à tout le monde. La bibliothèque garde ici son rôle de conservation et de valorisation des documents. Il lui appartient, avec sa communauté d’utilisateurs et de prescripteurs d’élaborer un modèle financier pour accompagner la création et la diversité de l’offre (consacrer une partie des subventions et des adhésions à financer des éditeurs de documents libres qui rémunéreront leurs créateurs).
- Les documents non-libres… je crains qu’il ne quitte les rayons numériques des bibliothèques qui sont des lieux/concepts incompatibles avec une logique de marché dématérialisé sauf à accepter que les bibliothèques adhèrent aux artifices numériques de verrous digitaux et de surveillance du lectorat. À mon sens se seraient contraire à leur vocation et causeraient inévitablement leur perte : Les grands sites commerciaux proposeront des offres “bulldozer” à prix “discount” (pardon promotionnel) qui rendront invisibles la newsletter de la bibliothèque de quartier qui essayera de vous dire qu’on a rentré des nouveautés à côté de chez vous.
En gros il faut sortir de l’adossement du prêt à toute forme d’analogie au modèle de prêt de documents matérialisés : soit on donne soit on permet la consultation sur place.
… mais ne nous emballons pas, ce n’est que le premier épisode du volet américain de la série que nous propose l’Enssib. Attendons la suite.
Au passage, on retrouvera aussi à l’intérieur de cet article des éléments sur la fracture numérique, car là encore, le concept de “prêt numérique” crée de la rareté artificiellement et au final produit surtout de l’écart entre bibliothèques riches et bibliothèques moins bien dotées… alors qu’elles pourraient techniquement partager un patrimoine commun.
J’en profite pour faire la promotion des autres billets sur ce thème du prêt numérique publié au sein de l’enssiblab par Catherine Muller et qui reprend notamment les études comparatives sur les modèles de prêt numérique en bibliothèque en France et dans le monde de Hans Dillaerts. On y retrouvera notamment des billets sur les modèles suédois et allemands où l’on voit une plus grande part de négociation entre acteurs du prêt et de l’édition, mais je reste peu convaincu par ces modèles car trop souvent contre “nature numérique” à mon goût.
- Le prêt numérique en bibliothèques : Le modèle américain – épisode 1 (enssiblab)
- Blog de veille “infodoc” de Hans Dillaerts (en anglais)
Bonjour,Suite à votre intervention auprès des centres sociaux, lors d'un petit dèj en mai dernier et à laquelle j'ai participé, j'aurai aimé savoir si vous étiez disponible pour faire de même au sein de notre Association. Nous étions 4 salariés à avoir assisté à cette matinée et nous avons été tous enchanté par votre présentation! Nous aimerions interpeller nos collègues sur les usages du numérique aujourd'hui, les enjeux liés à ces usages et la place que peut jouer notre structure.Chaque année nous organisons pour notre journée de rentrée (qui sera le 1er septembre) une matinée thématique qui serait donc éventuellement animée par vos soins?[des infos peu utiles pour le public en général on été censurées ici par le proprio du site car elles relèvent d’un échange plus privé entre auteur du commentaire et auteur du blog]Merci par avance pour votre réponse qui, je l'espère sera positive.Je me tiens bien entendu à votre disposition pour tous renseignements complémentaires ou rencontre éventuelle.Bien cordialement
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