On entend assez régulièrement parlé du concept du “droit à l’oubli”, évoqué notamment lorsque l’on aborde les questions de confidentialité et de vie privée autour des réseaux sociaux et de nos vies numériques.
Si dans un premier temps je trouvais un certain intérêt avec ce concept, certains échanges (et notamment avec Nathalie Walczak) m’ont fait cogiter un peu plus la question. Finalement c’est ce brave Bill Clinton qui m’a inspiré une réflexion sur l’absurdité du concept et l’envie de penser la problématique autrement.
Le droit à l’oubli est un truc bien pensant qui s’inspirant des mésaventures des uns et des autres ayant exposés leur intimité en jour sur internet, s’en trouveraient pénalisé dans leur vie d’après. Les exemples sont légions de ses étudiants lyonnais ayant exposé leur minuit du troisième jeudi de novembre (l’arrivée du beaujolpif nouveau) sur leur facebook et s’apercevant lors de leur entretien d’embauche que leur recruteur potentiel à devant lui la galerie où ils sont minables penchés au dessus de la Saône.
Alors le droit à l’oubli voudrait leur permettre de tirer un trait sur ce fait historique de construction de leur personnalité et de leur socialisation au sein du groupe. Leurs parents ayant par mégarde découvert (parce qu’ils sont “amis” avec leur progéniture…) leurs faits d’arme sont terrorisés à l’idée que des années de scolarité brillante vont être réduites à néant par cette persistance d’un instant d’égarement bien légitime quand on a 20 ans.
Si je ne suis pas un fan de la gestion de la confidentialité sur la plupart des réseaux sociaux (mais faut bien qu’ils fassent leur beurre paraît-il), je suis contre l’idée de gommer l’histoire.
Entendons nous, je pense que si quelqu’un veut faire retirer une photo afficher sans son autorisation, il est tout fait légitime dans sa requête. Que si l’on a plus envie d’avoir telle ou telle contenu sur un site dont est l’auteur ou l’acteur on peut le retirer. Mais ne nous leurrons pas non plus : acceptons l’évidence du fonctionnement même du réseau et que tout ce qui a été public sur internet une fois est probablement stocké ailleurs, mais la suppression totale est tout au plus un vœux, mais la nature du dispositif a probablement conduit à des duplications automatisées ou manuelles qui échapperons définitivement à “l’injecteur”.
Il est donc techniquement illusoire de croire à un droit à l’oubli. Mais il est aussi éthiquement douteux de proposer un droit dont on imagine très bien que nombreux seraient les personnalités qui souhaiteraient l’invoquer pour faire oublier un engagement de jeunesse dans un parti extrémiste ou un comportement illégal pour lequel il y aurait prescription. Le droit à l’oubli serait une sorte de droit à réécrire l’histoire. Craignos.
Alors on opposera qu’il faut protéger les gens contre les aléas d’un passé dont ils ne peuvent mesurer dans leur présent l’impact qu’il aura sur leur avenir.
Vas-y, explique à ta fille qu’il ne faut pas mettre n’importe quoi sur son blog… patati patata… Bon je le fais, mais j’essaye d’avoir l’humilité du père qui sait bien qu’on lui dit pas tout… sniff).
Donc laissons tomber le droit à l’oubli, c’est aussi inapplicable et inutile que la licence globale, voyons les choses autrement, inversons la proposition : Considérons qu’il devrait plutôt y avoir un droit au présent.
Là il y a une sorte de fierté, de jouissance intellectuelle qui agite son penseur (qui n’est pourtant probablement pas le premier à l’avoir en tête). Et puis au réveil, déception… Punaise, ce n’est pas un si bon concept…
Le droit au présent voudrait considérer que l’on ne doit pas être jugé dans notre actualité sur les bases de notre passé. Nous ne sommes plus la personne de la photo, nous avons grandi, nous avons muri… et c’est vrai en règle générale, surtout pour les autres (il paraît que pour ma part je suis encore infantile ou ado attardé… je vais faire avec).
Du point de vue du droit à proprement parler, il existe déjà des lois qui sont censées nous protéger contre les discriminations, et il me semble que le droit au présent s’inscrit dans cette approche de la protection des individus. Mais il sera toujours difficile de prouver que l’on est “disqualifié” à cause de cette satanée photo du beaujolpif… D’une certaine manière on est plus dans la définition d’une bonne pratique, d’une bonne intelligence que dans l’encadrement de comportements.
Arrivé, jusque là, on se demandera quel est le rapport avec le titre (si je peux utiliser le terme de rapport sans qu’il soit ici déplacé) ?
À la fin des années 60, le jeune Bill alors de séjour d’études à Oxford a fumé quelques tarpés avec ses potos. Si ses parents l’avaient appris, il y a fort à parier qu’ils auraient pensé qu’il y aurait toujours un “ami(s)” pour raconter une histoire qui aurait pu compromettre la suite de sa carrière. Mais les années sont passées, les mentalités ont évoluées et Bill a pu passer du pétard au cigare dans le bureau ovale de la maison blanche (pour les plus jeunes qui n’ont pas les référents culturels historique : Bill (Clinton), pendant qu’il était président des États Unis d’Amérique a eu une relation déplacée avec une stagiaire et un étui à cigare).
Du coup, s’il est nécessaire de continuer à lutter contre les discriminations, il faut aussi avoir une sorte d’optimisme social “darwiniste”, une génération grandit avec son histoire et ses déboires et elle les intègre dans des formes “d’auto-tolérances” (des moralistes parleraient peut-être de “pardon”). Si la génération précédente se sert de ces “instants d’égarements”, n’est-ce pas plus par besoin de trouver des arguments pour justifier la conservation du pouvoir au nom de la maturité?