On aime ou pas, mais lecteur assidu, tu devineras mon opinion. Microsoft a un indéniable talent en terme de communication promotionnelle. Et là, je n’ironise pas. L’énorme savoir faire communicationnel de Microsoft, depuis la nuit des temps de son histoire, est de savoir profiter de ses faiblesses et de ses retards. Le genre de stratégie de com qui bouleverse l’usage habituel des analyses SWOT. La sortie de “Surface” cette semaine est un modèle du genre.
Quatre points super forts de cette stratégie en apparence suicidaire mais peut-être beaucoup plus subtile qu’il n’y paraît :
- Produire du troll en singeant son principal concurrent pour faire buzzer les prédicateurs de chaque église
- Faire le buzz avec un gros bug dans la com
- Profiter du retard sur le concurrent pour recycler de l’ancien en innovation modernisée, en profitant des retours d’expériences.
- Se la péter d’un spot promotionnel qui produit une identité bien différenciée de celle du concurrent.
Reprenons et illustrons point par point:
Singer le concurrent pionnier pour produire du troll
La keynote (discours de lancement) de Microsoft mardi dernier est indéniablement comparable en de multiples points à la dernière de Steve Job pour la sortie de l’i-Pad :
- Personnages à la “Job” : dégarnis, jean baskets, décontractés, mais on se distingue par la couleur du pull.
- Terminologie, vocabulaire et mise en scène.
La vidéo suivante fait le reste de la démonstration :
Le résultat permet aux fans du “pionnier” de partir au quart de tour et de vanter la force de l’innovation de l’élu de leur doigts. Et on monte ce comparatif et on en rigole avec conviction sur les réseaux sociaux et les forums d’utilisateurs. Mais chez Crosoft on est pas idiot, on sait bien que les Mac Addicts (utilisateurs sous transfusion permanente de jus de pomme et ayant une ligne de compte chez Apple pour se sentir bien dans leur peau) ne seront pas clients. En revanche, leur fanatisme, leur dévotion à la “cause” va les pousser à parler, écrire, s’exprimer pour vanter leurs technologies mais aussi du coup ils provoquent l’existence de l’autre. Ainsi ils deviennent des centaines, des milliers de fourmis qui vont alerter leur entourage de l’arrivée d’un nouveau produit… et sans y prêter attention, ils vont toucher ceux que la keynote n’atteindrait jamais pour un coût ridiculement faible par rapport à un spot lors d’une finale de foot… Le pied!
(petits liens pour les réactions sur mac4ever et sur numerama)
Le Biz Bug, ou l’art de créer/gérer un bug pour se faire connaître
Les adversaires de Microsoft se régalent et ironisent depuis toujours des écrans bleus et autres virus… Et là poum, “Just a second please”, pendant la démo, la tablette qui fait des siennes (on ne verra pas quoi…).
Mais du coup le showman doit “presque” improviser. A Redmond on a l’habitude ou on a monté le coup, car vous l’aurez vu, illico il repart avec une tablette qui l’attendait sous le pupitre. Du coup l’incident devient l’objet d’un nouveau buzz auxquels ne résistent pas ceux qui avaient esquivé le piège précédent.
Je vous aurai bien montré un petit graphique sur #surfacefail pour voir la courbe de diffusion sur twitter… mais http://hashtags.org n’affiche pas les graphiques en ce moment… La vidéo incluse ici a compté plus de 2 millions de visionnages en 3 jours…
Là encore, le bug crée le buzz et fait donc exister la sortie du produit et pour Microsoft, ce n’est pas un bug de plus qui va remettre en question la notoriété de la marque… elle se joue manifestement ailleurs que sur le terrain de la fiabilité (là c’est le libriste qui commente).
Savoir profiter du retard pour bénéficier des retours d’expériences “usagers” et “juridiques”
Pour certains l’innovation est une condition de survie, d’émergence. Pour d’autres, elle est une prise de risque par rapport aux habitudes de leurs clients. En ayant pris deux grosses années de retard sur l’Ipad, Surface bénéficie de tous les retours positifs et critiques, ce qui permet d’adapter le cahier des charges du produit à la cible principale (et massive). Et là encore le marketing et la com ont rempli leur tâche:
- Axer la com sur le clavier habillage inclus (et oui pas une option de + à xxx dollars…). Car le défaut de l’Ipad, c’est son “originalité”, l’absence de clavier et une taille qui permet de nouveaux usages… mais qui tiennent de la liseuse et de la visionneuse. Je ne discuterai pas ici ces derniers, mais il est certain que l’appareil est ensuite totalement anti-ergonomique et non-pratique dès qu’on a besoin de taper du texte par exemple (je sais y a le clavier en option… mais il est en option… chère). Si dans un premier temps l’utilisateur fait comme si de rien n’était, au final, il risque de trouver le prix de la liseuse élevé d’autant qu’il ne sera pas débarrassé de la nécessité d’avoir un ordi pour pouvoir taper pour de vrai… Mais du coup la tablette devient un ultra-portable que le magnétisme du clavier peut rendre à nouveau tablette autonome… on tourne en rond, mais chacun pourra faire et dire ce qui l’arrange. Donc on ressert en fait un vieux concept : un ordinateur portable, mais moderne parce qu’on dit que c’est d’abord une tablette.
- On met un OS qui a un nom bien connu : Windows. On change le numéro : 8 (j’adore ce chiffre en anglais et à prononcer de manière récurrente… eight, eight, eight, hate, hate, hate…). N’empêche que derrière, ça veut dire (et c’est dit) : Vous pourrez encore utiliser vos applications préférées comme photoshut et pas uniquement notre store… (bon j’attends de voir si on peut mettre un tux à bord de l’appareil). Mais c’est une façon de dire… “Hey, nous on veut pas tout vous contrôler… c’est pas comme d’autres…”
- Juridiquement : on trouve les “pseudos innovations” que les utilisateurs attendaient et que la concurrence n’avait pas sorti… et on va les mettre au pied du mur sur les brevets et autres taquineries juridiques lorsqu’ils voudront s’y coller. Et puis comme dans les tribus de rats, d’avoir pris du retard permet d’avoir laissé quelques plus faibles tenter l’aventure et on voit ainsi où sont les procès et sur quoi. Donc on la joue fine sur le design et le packaging (on veut pas être les idiots de la galaxie) et on gère les protocoles G4 qui nous mettront pas dans le rouge en Australie ou en Suède…
Apple peut maintenant attaquer sur certains aspects… mais ça va être juridiquement chaud pour eux s’ils veulent transformer le smartcover en clavier…
Réaffirmer son identité en s’opposant à son concurrent
On a vu que si la Keynote singeait, le spot promotionnel va lui re-produire de l’identité par opposition.
Pour Ipad, on est dans le lumineux, le léger, l’élévation, l’humain, le pratique et le concret
Pour Surface c’est exactement le contraire on tape dans le lourd, l’agressif, le symbolique, le magnétique, le technologique. Quand l’un nous présente une recette de cuisine l’autre nous dévoile un prototype.
Lorsque Apple se centre sur l’écran, Microsoft fait le tour de “l’habitacle” en montrant bien la connectique (… oui vous avez droit à l’usb chez nous…). Ici on ne joue plus sur la confusion mais sur l’affirmation.
A l’heure qu’il est, je ne fais pas de pari sur l’efficacité commerciale de la stratégie, mais du point de vue de la com, ça m’a l’air plutôt bien visé si on s’en réfère (avec réserves) aux chiffres affichés par les vidéos promotionnels des uns et des autres. Mais on sent qu’il y a chez Microsoft une véritable rupture dans sa gamme de produit. On change de ton et on change probablement d’ère. Surface est à la croisée des publics de la micro classique, de la tablette pour conducteur de voiture allemande, et d’un brossé à la xbox pour les gamers, tout en gardant un peu de couleur pour correspondre à un public plus éclectique.
En allant sur le terrain du hardware, on peut repérer, probablement, une réorganisation de fond de l’activité qui se déplacerait du logiciel vers d’autres produits … et services. Microsoft anticiperaient-ils sur un doute quant à la rentabilité des produits immatériels?
Alors vu comme ça, le biz bug ne va pas faire rire tout le monde.